La plus belle façon de rater sa vie

 « dans la vie, soit l’on prend la responsabilité de changer les choses, soit on les subit. » 

La glisse


 

Rien n'est mieux que la glisse. J'ai beau chercher, peut être à part le sexe qui engage une partenaire et qui n'est donc pas comparable, rien n'est plus génial que la glisse. Que ce soit en ski, en surf, en skate, quelque soit le terrain, quelque soit l'heure, l'endroit, quelque soit l'objet qui vous fait glisser, rien n'arrive à remplacer les sensations de glisses vécues lors des évolutions sur les éléments. La sophistication est là : un objet simple et inerte, dénué de moteur vous propulse grâce à une force captée avec habilité. Rien n'arrive à la cheville des sports de glisse, nommés souvent " extrême " à tord. Aujourd'hui, regardant derrière moi, je regrette presque de ne pas être mort dans l'action, tel un étincelant sportif à l'audace folle. Aujourd'hui il est trop tard, je n'aurai pas le plaisir de mourir au paroxysme de mes glisses les plus intenses, les plus dangereuses. En cas d'accident, peut être pourrai je mourir, mais comment le savoir ? Je n'ai pas prévu de prendre des risques inconsidérés. Maintenant je dois vivre avec ce fardeau, et c'est ce que je vais faire ici avec vous dans ce livre. Rester vivant, alors que plus rien d'aussi excitant, de cohérent, de significatif, de cool, ne viendra meubler mon quotidien. Je dois faire ce deuil de ma force, inéluctablement, grandir et vieillir, vivre sans autre joie que repenser aux folies géniales dont j'ai été l'auteur, volontaire ou involontaire. Je vais donc vous narrer les plus incroyables de mes aventures, cherchant à comprendre dans quelles circonstances, j'ai fait ces choix. 


 

Les premières sensations 


 

Je me souviens de la première fois où j'ai appris à faire du vélo comme si c'était hier. Habitant à la campagne, en 1980, le vélo était un passage obligé pour découvrir le monde. Devant le garage de mes parents, entouré par ma mère, mon père et mon frère, un couple d'amis était présent avec la bicyclette tant attendue, apportée par cet ami de mes parents ; Daniel Sainthillier. Cet homme, utilisa une technique très simple pour m'apprendre l'équilibre. Il m'installa sur la bicyclette et me montra les freins, avant de littéralement me lancer droit devant moi, délicatement en équilibre. Il avait précisé : 

" tu vas voir c'est magique, tu tiens bien le guidon et tu regardes devant toi " Puis, il m'envoya tout droit vers le futur. Agé de cinq ans, en 1980, je n'étais pas équipé de casque, ni de roulettes latérales mais cela a fonctionné ! La vitesse immédiatement gagnée m'inculqua, d'un claquement de doigt, la cinématique et je commençais alors à pédaler pour me propulser par moi-même ! Aujourd'hui, il est presque impensable qu'un enfant apprenne à faire du vélo de cette manière. Ces parents seraient taxés de criminels... 


 


 

La trouille


 

Pourquoi continuer de rouler après quarante ans ? Parce que c'est bon pour la forme, et bon pour l'esprit. Explorer le monde avec une planche est quelque chose de fantastique. Je passe aussi bien dans la rue des restaurants au standing relevé, que dans les rues de marginaux borderline de l'assistance publique. Avec la même aisance, armé de ma planche. Et le risque de chute ? Je flippe putain... Modéré, mais présent, alors comment l'éviter ? Ma planche est propre, et elle n'est pas une grosse bagnole de banquier non plus. Comment ne pas tomber ? Ne pas avoir d'embrouille ? Par l'entrainement, du fitness, c'est là mon secret, les sessions en planche ne sont qu'une balade, glissant dans les rues pentues de la ville ou les routes escarpées des collines, cherchant le meilleur goudron. Et rester cool, un skate ça sert au plaisir. Il y en a bien des vieux skieurs, des vieux surfeurs, alors pourquoi pas moi ? D'ailleurs, les jeunes m'octroient leur respect, parfois, à condition que je parvienne à glisser élégamment, indice véritable du plaisir que je prendrai à cet instant d'effort sportif. 


 

Les auteurs


 

Ayant longtemps arpenté l'univers des écrivains et auteurs, je me complais à maintenir mon écriture dans un registre délibérément incisif, réel, concret. Rien n'est plus chiant que ce monde de lettrés qui concours à la majuscule la plus belle, au sens de la Lettre la plus attrayante rhétoriquement, au combat des idées, pour finalement n'accoucher que d'une logorrhée abstraite faite de réflexions toujours identiques. Comme si la littérature des " vrais " gens n'existait plus. Les vrais travailleurs, pas les vrais auteurs. Le français comme une langue morte non, pas ici. Certes, je travaille vraiment, mais je ne vois pas le monde de la même manière que tout ces gens de lettre qui justifient leurs œuvres par la puissance de leur grammaire. Tous sont des professeurs de Français dont la société n'a pas grand chose à faire. Je suis vraiment heureux de me distinguer ici de cette masse Orwellienne de bien penseurs ennuyeux à mourir. Et comme ma professeur me l'a appris, j'écris pour être lu. 


 

La cantina


 

Le lieu le plus mythique de Chamonix. Une maison unique que j'ai parcourue de la cave au grenier. Il se dégageait une atmosphère rare de cet hôtel restaurant qui devenait aussi un club en soirée. Au grenier se trouvait ce que l'on peut penser être une fumerie pour l'opium, ou une sorte d'ashram. Cela semblait tout à fait naturel de trouver ce type de décor pour fumer des joints ou prendre des champignons au retour d'un trip en haute montagne. La haute montagne Chamoniarde, le Mont Blanc sont des environnements dangereux pour l'homme et donc inutile de chercher un prétexte pour se défoncer, le lien est là, on a parfois besoin de prendre de la drogue pour comprendre ce que l'on ressent, être " high ". Parce que de toute façon, l'homme ne fait que ça, tabac, alcool, joint, cocaïne, café, coca, champagne, eau minérale naturelle, et c'est l'escalade à laquelle il faut savoir dire stop. Enfin c'était un lieu où la marijuana et son expérience n'était pas vécues comme répréhensible et pour moi, en 1995, c'était une nouveauté salutaire en pleine répression. A condition de ne pas en abuser, naturellement. Lorsque l'on fréquente la haute montagne, la drogue ça fait doucement rigoler, faut pas abuser. 


 

Les meufs


 

L'ambiguïté d'être certain de me donner totalement, opposée à l'inconnu du futur de notre relation m'a toujours bipolarisé. Ne sachant jamais si l'aventure durerait, je m'efforçais d'être un homme à la hauteur des attentes de ma maîtresse. En gros je suis en train d'écrire que j'ai toujours essayé d’être un bon amant, toute modestie gardée, enfin, je crois. Car en amour il faut donner sans attendre en retour. Je n'ai jamais pu, Hélas, retenir. Trop voué à offrir l'amour et cette liberté, je ne me suis jamais cru capable de surenchérir pour garder, préserver, rester au près d'elle. Soit je donnais trop de doutes à ton amour, soit tu t'es débarrassé de moi pour les mêmes raisons. Quoi qu'il en soit, nous nous aimions et c'est tout ce qui importe, plus tard, nous nous retrouverons encore dans ce souvenir prochain d'un sentiment pur, seul à compter pour notre présent, comme un paradis promis au plus tendre moment d'un baiser amoureux. Mais si je deviens vieux et seul, abandonné et lasse, alors ma vie sera foutue de souvenirs bons pour la collection Harlequin ? 


 

La nuit


 

La nuit à la campagne, près de la ferme de mon père, la route montait sur une longue côte qui devenait parfaitement déserte après 23h00. Large et lisse, les soirs de pleine lune, j'ai choisi rapidement de partir rider à la lueur des étoiles. Skater à la belle étoile... C'était absolument magique. J'entrais dans ces moments là, dans une sorte de périple cosmique, gardant les pieds sur terre. Seul sous la lumière de la pleine lune, je découvrais un autre monde. Bien évidement, je me cachais des voitures pour ne pas être ébloui par leurs phares, mais aussi pour ne pas avoir d'emmerdement suscitant des questions saugrenues en étant là à minuit, deux heures du matin. La pente faisait un kilomètre et demi, au milieu des champs appartenants à des voisins et à ceux de mon père. Ainsi sous les étoiles, je vivais des instants incandescents, ou, même certains soirs, les étoiles filantes jouaient avec moi. Tout était nouveau, différent, l'atmosphère unique donnait à mes sessions une sorte d'envoûtement que rien de connu n'égalait. Glisser sous la lune me transportait à milles lieux de mon quotidien, tout en restant chez moi, au prix d'une matinée ensommeillée. 


 

Les éditeurs


 

Le nombre de refus observés par les éditeurs à mon égard n'a d'égal que l'originalité de ma prose. Il faut dire que je me suis répandu dans des styles tellement libre, revendiquant même un courant abstrait lyrique proche de l'élément. Je revendiquais la faille humaine d'un écrit imparfait, toutefois lisible, implicitement, ce que je n'ai pas eu le temps de dire. Dans une société normée, avec ma citation de Rimbaud comme faire valoir, je pouvais toujours présenter des manuscrits marginaux aux éditeurs. Bizarrement, j'avais même poussé quelques portes en montant à Paris. Et toujours, mon discours déclamant une liberté d'expression proche de la liberté d'action, écrite dans mes pages, passait plutôt bien auprès des spécialistes de l'édition. Mais à l'écrit ce n'était plus valable. Systématiquement refusé, incompris. Subversif ? Etranger des éditeurs, je retravaillais encore et encore mon ouvrage " une glisse libre " afin de pouvoir trouver un jour une personne qui m'accorde une chance de laisser exprimer la poésie de la glisse comme je la vivais. Les titres parlent d'eux-mêmes : ça parle free-ride, feel date, le quatrième état de la matière, un monde de merde, single slide...


 

La citadelle 


 

C'est un spot mythique. Cette rue serpente entre la maison natale de Victor Hugo, un faux théâtre antique, le rectorat, une vraie porte multi-millénaire, une cathédrale, des hôtels particuliers, une halte pour Compostelle, un château d'eau, l'administration départementale, et une citadelle royale de Vauban culminant à son sommet. C'est la rue des Fusillés, j'oubliais le monument aux morts de la deuxième guerre mondiale de 39-45. Avec une bonne pente, c'est le lieu le plus romantique à rider. Et aussi le plus chaud ! Je m'étais habitué à venir la pratiquer régulièrement comme un surfeur connait ses vagues ou un skieur sa montagne. Voyageant dans le temps à chaque session, je me retrouvais dans la poésie touristique du lieu, fréquenté également par bon nombre de visiteurs. Ainsi, m'insérant dans le flot léger des automobiles, je pratiquais seul en sécurité sur une route hautement symbolique. Les arbres séculaires et les aspérités de la route n'avaient plus de secret pour moi. Je planais au dessus du goudron. Je dois même avouer une sorte de stupidité à avoir ainsi bravé sa pente sans casque et sans protection, tel un touriste, tel un véritable skateur. Mais je l'ai fait, sans blessure, comme une projection dans le futur de cette route symbolique. Le paysage bucolique et ma présence me valait toujours la sympathie des personnes croisées. Il faut dire qu'un homme en skate n'a pas tout à fait la même psychologie qu'un piéton. Discret et respectant toujours les usagers de cette route, je n'ai jamais eu le moindre problème avec la police. C'est à croire qu'elle fût construite pour le jeu par Louis XIV, en tout cas, c'est mon intime conviction. Seulement, la pierre que l'on croyait éternelle subi les affres des voyageurs, des bus de tourisme, se dégradant elle se meurt, inexorablement, rappelant aussi la fragilité de la neige ou la puissance chaotique d'une vague. 


 

Le père 


 

Ayant grandi dans une ferme, étant l'aîné, je me destinais un jour ou l'autre, à forcément reprendre l'exploitation familiale. Mais le destin en a décidé autrement. Vers les années 1995, âgé de 20 ans, je commençais le ski, jouais de la guitare abondamment, et ne m'intéressant guère à la vie agricole. Je jouais le fils à papa malgré moi, et mon père ne se doutait de rien puisque j'obéissais à ses demandes, mais hélas pas à ses souhaits. Les années ont passé et vers 2001, mon père voulu reprendre le dessus en me réveillant un matin. Il me frappa avec ma propre guitare, sur le pied, alors que je savourais au lit la discothèque de la veille. Ça a été un drame. Il lui aurait suffit de me rappeler que l'argent se gagne au travail, pour pouvoir assurer mon quotidien. Au lieu de me frapper. Ça a été terrible et naturellement je me suis réfugié dans le free-ride et l'écriture. Ensuite, vers 2004 j'ai voulu travailler avec lui sur l'exploitation, nos relations étaient revenues sur de meilleurs termes, mais la symbiose était fichue, le boulot ne se passait pas comme il devait, mon père trimait et ne comprenait pas ce que je voulais faire pour l'aider, il refusa que je m'installe comme paysan. Cela en a été fini de l'exploitation familiale. Ma teuf, internet, mon célibat, ma guitare et mes free-ride ont-ils coulés l'exploitation ? Non, parce que je voulais bosser, et mon investissement culturel, artistique a été un refuge à sa rigidité autoritaire. J'étais pourtant bosseur, mais cela n'a pas suffit. Pour être paysan au 21eme siècle, il faudrait tout donner à son sacerdoce, d'après Papa. 


 

La foule


 

Fendre la foule en roller, slalomer entre les femmes et les hommes, et les femmes, attention : Croisant ici où là quelques divines Aphrodites sensuelles et séduisantes à l'interrogation étrangère... Quel pied, sans bousculer quiconque. Au rythme des regards, je modulais mon évolution, marquant quelques rotations au tournant autour des fans. Parfois, quelques passants marquaient leur admiration lorsque mon style était fluide, suffisamment élégant pour être souligné. C'était un geste de la main, un sifflet soigné ou des regards éberlués. Un vrai jeu d'exhibitionniste décent. Et le risque de chute toujours présent, donnait un certain piment quand d'autres s'attendaient à ce que j'épouse le sol avec une brutale maladresse. Mais quand la foule se renouvelait, sans cesse changeante, ma démarche s'adaptait en permanence. Ce n'était pas vraiment une danse, pas vraiment un tourbillon Olympique non plus. Juste une communion entre un déplacement biologique et technique et des marcheurs en goguette. L'extase du mouvement saluée, le plaisir affiché, je courrais comme le vent, sans effort et sans vaine morosité. 


 

La compétition


 

Rien n'est plus inutile qu'un contest de free-ride à mon sens. Distinguer le style, free-style et le free-ride est-il important ? Pourquoi chercher toujours à identifier un numéro un, hein ? Le monde, notre environnement, les vagues, les montagnes, les routes toutes plus dangereuses les unes que les autres, sont là pour être engagées, et cela pourrait suffire à notre besoin de reconnaissance. Cet aspect du free-ride est trop largement ignoré au détriment des compétiteurs, enfin j'espère me tromper. La planète n'a pas besoin de numéro 1, mais plutôt du meilleur de nous même. Tous ensemble. Ecraser l'autre n'est pas la bonne voie, le monde de la glisse doit laisser ça aux jeux olympiques. L'époustouflant est le seul sentiment nécessaire pour éblouir à sa juste mesure. Ce point de notre éducation devrait être souligné aux plus jeunes pour qu'ils préservent des vraies valeurs, dénuées d'esprit guerrier mais combattant, pour la beauté la plus universelle. 


 

La vérité


 

C'est le moment d'en profiter, balancer tout ce que j'ai en magasin depuis 20 ans. Sans honte, ni pudeur, gloire ou prétention, mais dire les choses. Parce que je suis quelqu'un de solitaire et qu'il est important d'aborder certains sujets sans double langage. Pendant ces vingt années, j'ai été hyperactif, vraisemblablement aussi hypersensible. Aujourd'hui, je suis hyper déprimé, hyper fatigué. J'ai raté ma vie sur de nombreux points, alors pour relativiser et transmettre un message important, je prend cette liberté. Je reste un homme normal sans le handicap d'un traitement psychiatrique. Pendant ces vingt années, j'ai passé des heures à rider, à faire la teuf, mais aussi à bosser et explorer. Je n'ai eu de cesse de chercher les idéaux que j'ai pu atteindre dans certains domaines. Mais l'intérêt d'être un excellent skateur amateur n'apporte aucune sécurité pour ma retraite. Aussi, puisse ma vision du monde vous éclairer autant qu'elle m'a étonnée. Comprendre le passé permet d'anticiper le futur. Ma littérature ne m'apportera vraisemblablement pas la fortune. 


 

La sortie


 

C'était la sortie du Bristol, une discothèque tendance de la ville. Un mec se trouvait devant moi, à plat ventre sur le sol humide avec un lascar assis sur son dos. Deux heures après l'arrêt de la pluie. Autour de lui se trouvait un couple, spectateur de la scène. Je me suis immédiatement approché, choqué, je leur demandais ce que cela signifiait. L'homme spectateur me répondit qu'ils s'amusaient. Visiblement ce n'était pas le cas pour l'homme maintenu au sol. Dès lors, j'ai empoigné son tortionnaire par les épaules et instantanément, il s'est redressé et s'est retourné contre moi cherchant à m'assener quelques coups de poings. Heureusement, je parvins à le contenir en évitant ses crochets au visage, avant qu'il ne tente de me mettre un coup de boule. Calmé, je le relâchais et constatais ensuite que l'homme à plat ventre avait réussi à se redresser. 


 

Le risque


 

Rien n'était plus ridicule que cette pratique de l’extrême. Quelque soit le terrain, mettre en péril mon évolution en repoussant mes limites à toujours porter cette absurdité au rang de délice de l'âme est une erreur. En somme, jouer à la roulette russe en dansant avec une planche sur neige, sur l'eau ou sur le goudron. En compétition contre moi même, je mettais à chaque fois mon intégrité en jeu pour avoir le plaisir d'en sortir indemne. Un peu comme ces princes qui, pour devenir roi, cherchent à accomplir des prodiges traduisant leur valeur dans un rite de passage. Toutefois, je ne gagnais pas à tous les coups. J'ai eu parfois des chutes malheureuses et parfaitement méritées, engendrant des blessures sérieuses. Mais à chaque fois, je suis revenu jouer à ce jeu de terreur habilement dissimulé dans une glisse maîtrisée avec délectation. Je retirais de mes évolutions après une grosse session, une profonde satisfaction d'avoir tenté le diable, au paroxysme du culte de la jeunesse, pour revenir entier après avoir envoyé du gros. La fureur de vivre, version glisse. Ce sentiment de plénitude lié au shoot d'adrénaline valait tout l'or du monde. Les jeux de hasards n'ont-ils pas le vent en poupe ? Or, la maîtrise ne suffit pas. Il faut avant tout choyer sa zone de confort sans se laisser griser par la facilité. Sans quoi, c'est l'accident. Ce n'était pas une contradiction, juste une autre facette de l'esprit du danger qui peut exister largement en dehors des sports de glisse.


 

La mort


 

J'ai failli mourir plus d'une fois. Mais ma plus belle expérience de mort imminente, à pris place en haute montagne. J'étais à Chamonix après plusieurs mois d'intérim entrecoupés de trek à 2500 environ 3000 mètres lorsque j'ai eu l'appel de la haute montagne. Certes, je n'étais pas en ski, mais ma randonnée à viré à l'alpinisme épique. J'étais parti sur la voie normale du Mont Blanc, et happé par la haute montagne, je me suis retrouvé azimuté par le refuge du goûter sur un couloir non équipé, non pratiqué. Un groupe sur sa terrasse m'attirait, je-ne-sais-pourquoi. Totalement azimuté donc, tant et si bien que j'ai dû franchir une corniche de neige quasiment verticale à la base de l'arête, après un passage en mixte de fou, là où le rocher cède progressivement sa place au glacier du goûter. Heureusement pour moi, j'étais équipé de chaussures de football stabilisées, des " Turfs " d'Adidas, autrement dit, destinées au terrain de football en sable. Des baskets à crampons grosso modo. Grâce à ces baskets et grâce à ma condition physique, je me suis flanqué la frousse de ma vie, accroché à ma barrière neigeuse à 3800 mètres d'altitude. Dévissé eut été mortel, sans aucun doute. Mais je conserve précieusement le souvenir d'une lumière rare et puissante à cet endroit, avant de finalement rejoindre l'ancien refuge. Plus tard, une habitante de Chamonix me qualifia de " fou de montagne ". Un vrai... Une " near death experience " comme je ne vous en conseille jamais. 


 

L'effort


 

Moi qui suis un rural, dans le sens agricole du terme, jamais je n'aurai été aussi frappé que par la puissance de l'océan. Ayant touché au surf sur le tard, seulement en 2004, j'ai découvert dans les vagues un terrain sportif des plus fous. N'étant pas natif des côtes, la découverte de l'océan a été pour moi une baffe énorme ou mon seul salut fût de pouvoir lire la mer, comprendre les vagues afin de pouvoir surnager. Car seul face aux déferlantes, c'est absolument peine perdue. Et j'ai dû l'apprendre par moi même. Autrement dit, j'ai ramé en vain avant de savoir faire le canard avec ma planche. J'ai adoré cette lutte face à l'élément, préalable à tout surf. D'ailleurs, cette image du surfeur cache bel et bien l'effort et l'habilité, la connaissance que représente le fait d'aller chercher les plus belles vagues. Cela fait partie de la légende du surf. Se faufiler entre les lames d'écumes n'est pas aussi facile que l'on veut le croire. 


 

La ville


 

Quel terrain de jeu surréaliste ! Toutes les villes ont été pour moi des champs de liberté incroyable. Pas comme la Nausée de Sartre. Au delà du vaste dédale de jeu se trouve encore une fois la nuit, où profiter des rues désertes fut un bonheur insensé. D'autant plus que nos nuits, généralement sont offertes à la fête les jeudis, vendredis, samedis... J'ai donc pu rouler en roller ou en freeboard, jusqu'à l'épuisement, rassasié de plaisir. La nuit dans ces villes la nature humaine se révèle. Je croisais souvent des prostituées, par hasard. Moi j'essayais d'évacuer mon énergie de célibataire en roulant et elles tentaient de trouver une forme d'amour impossible en faisant le tapin, contre de l'argent. A mes cotés, elles se marraient souvent de voir un guignol en patin déchirer leur ennui de prostituée, principalement meublé de la police et de branleurs. Mais parfois elles étaient jolies à me séduire, m'en troubler le patin, le skate et tout le saint Frusquin. Mais la nuit, le silence de la ville à ces heures endormies offrait bien plus de réponses que ces simples rencontres sur nos quotidiens. 


 

L'anglicisme


 

Je suis tombé sur un os. Presque insurmontable. Dans ma littérature, j'employais les termes anglais de nos free-ride. Avec toute la difficulté de Franciser les termes. Et les anglicismes sont légions dans notre univers de glisse d'influence anglo-saxonne. Alors comment employer simplement des mots anglais dans la langue française ? L'écrit comme l'oral permettent ce genre d'usage, mais pour moi, la nouveauté de ce langage n'offrait qu'une raison supplémentaire aux éditeurs de refuser mon travail. Encore une fois, la rigidité de ma langue française et ces règles grammaticales strictes, n'eurent aucune clémence pour admettre la langue vivante à l'écrit, comme n'importe quelle langue usuelle. Ce paradoxe est intéressant en lui même, puisque l'argot fait partie de la littérature également, je proposais alors avec " une glisse libre " un langage usité, simplement écrit. Enfin, peut être un jour, les académiciens accepteront ils un espace à la réalité littéraire d'expérience, de toute façon je finirai tôt ou tard au " si me tiers " avec ou sans la compréhension d'un éditeur. 


 

La police


 

J'ai fait mon service militaire, puisqu'en 1997 il était encore obligatoire. Cependant, je choisi à l'époque de partir sous les drapeaux dans un corps d'armée civile, puisque j'intègre la police nationale en tant qu'auxiliaire de Police à la préfecture de Paris. Ces dix mois sous les drapeaux m'auront marqués profondément car nous ne cessions de faire... la bringue ! Sous toute ces formes et avec tout les excès. Picole, fume, sexe et j'en passe... J'ai dû faire toutes les conneries faisables à l'époque. Pour résumer notre quotidien, nous alternions entre une demi journée de service en uniforme à plantonner pour des écoles ou des personnalités, et ensuite nous retournions à la caserne. Naturellement, nous nous sommes fait piquer à plusieurs reprises par la police pour des faits de tapage ou d'usage de stupéfiants, ivresse sur la voie publique. Mais nous étions porteur de notre carte de police, ce qui nous valait une remontrance et nous étions blanchis avec un gentil serment de rigueur. " bon, ça va pour cette fois et qu'on ne vous revoit pas dans cet état ". La police faisait preuve d'une mansuétude exceptionnelle à l'égard de ses auxiliaires qui m'a toujours choquée parce qu'à chaque fois, nous méritions largement la procédure autoritaire mais la grande famille que représente « la maison » était complice. C'était docteur Jekill et mister Hide... Trop compréhensive, nous étions coupable, et la police laxiste. Ça a été le bouquet avec la coupe du monde de foot. La liesse populaire du soir de la victoire dans Paris à été à la hauteur de l'événement : absolument grandiose, la communion du peuple dépassait tout ce qu'on peut concevoir de fête publique. Et ce soir là la Police a fait la fête en uniforme... 

 

La courbe


 

Les lignes que je dessinais furent toutes plus invisibles les unes que les autres. Je n'ai pas laissé de traces, pas d'indices, à peine une signature à mon passage. Mais qu'est-ce que je m'engageais... Corps et âme, tout le temps pour l'esprit et le physique, c'était un putain de pied, une danse sinusoïdale avec la gravité terrestre. J'aurais pu me blesser, je me suis blessé, mais je me suis relevé, sans dégâts. A peine une convalescence pour recommencer de plus belle, mais plus prudent, plus expérimenté. C'était dans cette vibration que je me confondais à merveille avec les courbes du désir offert par une femme. Ma plus forte émotion, derrière l'abandon de tout. Un espoir, une découverte, la lueur, rien d'autre que le septième ciel à portée de main. Et tous ces kids qui m'envoyaient des saltos de plus en plus fous, je n'en avais cure. Respect. Pour moi tout résidait dans la force, la volonté et l'équilibre. L'équilibre, pour comprendre la monde, accepter l'audace et franchir une démesure. Parfois j'ai eu ces éclairs de folie délétère, ces souffles de bravoure qui vous shootent à l'adrénaline, ces cascades que l'on ignore, ces sueurs froides de majesté... Et j'ai pu gagner l'inutile, vaincre ma propre faiblesse, et composer ainsi avec l'infini. Jean d'Ormesson si tu me regardes, j'avais un passage d'une Glisse Libre où je vous sollicitais. Ce n'est plus la peine, je ne prendrais jamais ma retraite de free-rideur. Maintenant je suis un homme libre, et vous êtes disparus. Nous nous retrouverons un jour, et vous et moi, seront responsables. 


 

La virgule 


 

Le plus heureux du monde. Malgré les incompréhensions, jamais véritables, malgré les excommunications, jamais dites, malgré le harcèlement, jamais fatale : J'ai ridé des heures entières, seul ou accompagné, mais je ne me suis jamais ennuyé avant le bout de l'effort, enfin apaisé d'avoir pu trouver en moi cette sensation de bonheur que l'on m'empêchait d'atteindre. Dans le dialogue, il était facile de ne pas se tromper au récit de mes aventures, puisque je me suis affranchi des contraintes de l'histoire, du roman, de l'essai. La littérature, dans sa grande intelligence, cru offrir en moi un renouveau, mais j'avais préjugé de mes talents. Les maisons d'éditions refusèrent mon travail, elles refusèrent aussi de l'aider. J'ai dû quitter l'étude, mais la passion revint à moi invariablement. Et je repris mon travail, déterminé. La virgule, c'était aussi un situationnisme que j'ai couvé dans l'adaptation, en tirant profit de tous mes rêves. Et même si je n'ai pas abouti, le bonheur d'avoir ainsi vécu est ma plus belle victoire que seul la mémoire oubliera. Avec ces mémoires, je n'offre pas seulement une rancune, mais j'attaque également ceux qui mon trahis. Comme lorsqu'on arrache les mauvaises herbes d'un jardinet. 


 

La lectrice


 

Toi qui lis ceci, j'aurai aimé te faire lire une glisse libre, mon meilleur travail. Je l'ai toujours en archive, mais tu devras te contenter de ce laïus triste et plaintif comme une lettre de dépôt de plainte en procès verbal. Mon histoire aurait pu être belle, mais on m'a coupé les ailes parce qu'elles étaient trop grandes ? L'individu à toujours peur de l'inconnu, l'incompréhension, l'incertitude. Comme Icare, je me suis approché trop près du soleil, pour me retrouver dans le labyrinthe du Minotaure. Les grands auteurs du 19eme siècle ont toujours été mon inspiration, avec Beigbeder, Houellebecq, Notomb, plus loin Malraux, Celine, Camus, pour la postérité... Cocktail détonnant, je citais Rimbaud et Bukosky mais hélas mon œuvre ne parvins pas à émerger du manuscrit initial. Trop marginal, trop libre, trop barré, trop inspiré de la sueur et du sang de mes aventures de glisse, rien n'arriva à convaincre les médias dominants. Et pourtant j'en ai envoyé des dossiers de presse. Avec de très bon retour parfois, mais jamais la bonne nouvelle de l'édition. Et puis j'ai découvert que je pouvais être balancé dans le jeu promotionnel à l'aide de pognon, forcer le jeu politique. Comme ça, encore plus dégouté du monde littéraire, j'ai dû subir comme vous tous ces livres qui n'ont rien à dire de nouveau. Et puis en relisant ceci, la poésie m'a saisie... 


 

La boulimie


 

Pourquoi boulimique de glisse ? Parce que j'étais doué, tout simplement. Pas un génie, mais j'étais doué en roller, en ski, en endurance, en équilibre. Et puis la conjoncture professionnelle qui a été la mienne fût suffisamment favorable pour que je puisse jouir de la glisse aussi longtemps. L'uberisation du monde professionnel donna des petits contrats réguliers, entrecoupés de périodes de chômage. Je cotisais donc pour mes droits d'allocation et je parvenais toujours à retrouver du travail, hélas précaire. Avec en plus la situation agricole de mon père, je pouvais profiter du gîte et du couvert à la ferme puisque pendant ces périodes chômées, je filais un coup de main à mon paternel dans sa ferme. Avec leur pseudo bienveillance, je pouvais ainsi repartir sur ma planche au fil des saisons, rider à Stockholm ou au Maroc, visiter Rome et Londres avec mes rollers et aussi profiter de la montagne et l'océan. Mais cette situation professionnelle n'avait qu'un avantage, malgré toute cette précarité, c'était de me laisser parvenir à vivre de la glisse et de la littérature, une erreur, puisque je l'avais déjà vécu. Ce après quoi, je cours encore aujourd'hui, comme l'essence même d'un agricole humain, mieux que tout... Le retour à la terre... Une bonne journée en forêt à bûcheronner ça rafraîchit l'été et vous réchauffe le cœur en hiver... 


 

Le haschich


 

Dès le lycée, j'ai commencé à fumer du haschich avec des amis guitaristes. A l'époque on écoutait, les Doors et Jimi Hendrix, AC DC, Nirvana, ensuite, Steve Vai et Joe Satriani... C'était presque une expérience initiatique religieuse que d'explorer des états de conscience supérieurs grâce à l'Aya avec le support de l'œuvre musicale, « for the love of god ». En tout cas, moi je planais... Et depuis j'ai toujours continué de fumer et boire, sans jamais avoir de problème avec ces produits, raisonnablement. Puisque j'ai réussi mes études. C'est avec la répression que les ennuis sont venus. La désapprobation des parents, le rejet par la société, le harcèlement légiférant des forces de l'ordre, tout pour péter les plombs. Alors qu'avec le free-ride et ma discipline de vie, je ne mélangeais jamais l'alcool, l'herbe et le sport. J'étais devenu un peu straight-edge, usant de tout et n'abusant de rien. Hélas, la direction prise en politique n'était pas la bonne pendant de longue années de lutte et revendication pour une véritable compréhension. C'est la bonne, ici, sans drogue dure évidement, sinon, il faut un pharmacien. Aujourd'hui nous ne sommes pas près de pouvoir chiller peinard sans craindre la police, si on surcharge nos joints avant de conduire ou de travailler, ce qui est complètement rassurant de la part des pouvoirs publics puisque seuls ceux qui pourront payer les amendes pourront savourer les plaisirs de la marijuana, à condition que les cannabinotest soit négatifs... Beaucoup de science pour un peu de détente... Modération sur le CDB.


 

Les autres


 

Ce ne sera pas à cause de vous que je mettrai fin à mes jours dans une session extrême de la mort qui tue. Jamais je n'ai pratiqué la glisse pour appartenir à un groupe. Contrairement à beaucoup, je me suis investi simplement par plaisir, passion, rage et ivresse. C'est ensuite que mon appartenance à ce groupe fût manifeste. Ainsi, les compétitions furent dures et relevées. J'ai eu quelques places d'honneur, des résultats médiocre. Mais je n'ai jamais brillé car à l'époque Internet n'offrait pas de vidéos et quelle ne fût pas ma surprise de découvrir le véritable niveau des compétiteurs in situ. Ça a été une claque mémorable, moi qui sortais de Besançon ou les patineurs me jugeaient habile et courageux, trouver le gratin mondial fût une marche trop haute à atteindre. Immédiatement, j'ai été renvoyé à mon patin, puisque je concourais en roller. Mais avec le temps et ayant vu leur technique, continuant de pratiquer, je me suis amélioré pour parvenir à rester au meilleur niveau possible, trouvant ma glisse, bien dans mon patin. Ainsi, comme le terrain de jeu en roller et en skate et immense, je pus évoluer en des lieux magiques, retrouvant encore le meilleur de moi-même, mais laissant tomber la compétition omniprésente pour toujours plus de plaisir. 


 

La poudreuse


 

Certes, je n'ai jamais fait appel à un hélicoptère pour une dépose en hors piste à 4000 mètres d'altitude comme les pros mais tout de même, j'ai eu mon lot de neige fraîche. Simplement, il suffisait de privilégier les fenêtres météo qui suivaient les précipitations neigeuses, et, n'habitant pas très loin de la station, j'étais systématiquement à l'ouverture des remontées mécaniques pour savourer les premières traces dans la neige poudreuse, aux aurores. Et quel pied ! Seul aux remontées, avec quelques pisteurs ici ou là, on se reconnaissait, entre mordus enfiévrés de peuf. Ensuite, au top des remontées, c'était finalement un domaine immaculé qui s'offrait à nos lattes pour découvrir une sensation extrême : Tout en finesse, l'ondulation feutrée d'une caresse véloce transportait immanquablement à une sensibilité hors du commun. Similaire à l'élément liquide, la profondeur propose cette dimension supplémentaire, élastique, malléable, vivante. Comment ne pas devenir addicte de cet élément aussi pur ? J'aurai pu y laisser ma peau, à plusieurs reprises, en passant outre les barrières des pistes fermées pour risque d'avalanche. Mais je m'en foutais, prêt à risquer le pire pour quelques traces éphémères, stupide survivant ou intelligemment suicidaire. 


 

Les bars


 

La fête, sans rien de particulier à célébrer. Ça a duré pendant deux décennies et ça dure encore. Juste le simple plaisir de se retrouver. Le bar comme lieu de rencontre est un formidable outil de mélange des personnes. Et comme tout bon rideur qui se respecte, c'est le moyen d'engager facilement la conversation avec des filles ! De la musique, de l'alcool, des gens... Une recette simple et efficace pour trouver des amis, et surtout discuter de tout et n'importe quoi. Je ne me lasse pas de me remémorer les instants absurdes ou le dialogue s'orchestrait autour d'idée invraisemblable. Souvent très drôle, je cultivais cet art de la dérision, un certain cynisme, inspiré par Edouard Baer, Hypolite Girardot, entre autres... Prendre le recul nécessaire à la vie dans ces lieux de perdition nocturne au brouhaha saoulé et surpeuplé était indispensable. Comme une seconde nature, ce sens de la fête reste un souvenir tenace de second degré, d'anticonformisme. Je me sentais tel un dandy contemporain, que je suis toujours, foi de free-rideur : Rien à arroser ? ça se fête alors ! 


 

La norme


 

Et oui, notre société moderne nous écrase de codes, normes, conventions, et étiquettes en tout genre. Impossible d'échapper à cette écrasante loi qui conduit finalement à un ennui profond et un très grand désarroi identitaire. La machine nous broye la bonne humeur, tout en détruisant le monde. En free-ride, je n'ai jamais été professionnel et c'est avec une liberté survolté que je choisissais de m'engager dans telle ou telle session. N'appartenant pas à cette caste de professionnels, je pouvais sans pression partir sur une descente, tâter la neige fraîche ou mouiller mes oreilles. Ni un touriste, ni un pro... On me laisse penser, un aventurier... Certes, je ne déployais pas l'époustouflante évolution, mais mon sens aiguisé de rideur me valait quelques belles actions de brio. Je pouvais ensuite revenir à quelques missions intérims avec une joie de vivre hors du commun, simplement parce que je n'avais pas répondu à un besoin, mais à une envie. Evidement j'aurai aimé devenir pro, mais avec ce recul, je ne regrette pas d'avoir cumulé les expériences. C'est ce qui fait de moi un homme à part, même considérant le prix de cette distinction. Je me souviens d'une maxime Parisienne qui disait " que l'on parle de moi en bien ou en mal n'est pas important, l'important c'est qu'on parle de moi ". Sortir du lot, s'appartenir, posséder un discours rare, offrir une authenticité personnelle, naviguer sur une société ultra balisée en toute sincérité, c'est une direction normale pour s'affranchir de la machine, être nous même, respirer. Juste un aperçu de mon curriculum donne une idée des sessions... et inversement. 


 

Le voyage


 

Comment parcourir des milliers de kilomètres ne ferait-il pas déjà partie du free-ride ? En voiture, en bateau, par avion... Par exemple, relier mon village à la ville d'Athènes avec des moyens antiques m'exciterait considérablement... J'ai pu voir le monde, où tout du moins, une partie européenne de celui-ci. Mais déjà, voyager représente une manière de glisser sur nos pays avec une certaine dextérité. Contrairement au van, au camion, à la fourgonnette, au break, j'avais une berline. Spacieuse et également discrète, elle m'offrit une manière très sûr de visiter presque toute l'Europe. Suisse, Autriche, Allemagne, Suède, Angleterre, Espagne, Portugal... Même le Maroc. Ainsi, je retrouvais dans notre modèle occidental toujours les mêmes lieux... Le supermarché, incontournable, la métropole, le travailleur local, les dancings et évidemment la police. Ensuite venait le spot de ride, l'hôtel et les bars. Dans tous ces voyages, je me suis aperçu faire partie d'une jeunesse en quête de sens, perdue dans la révolte ultralibérale inutile, en recherche permanente de bonheur simple. Car je recherchais également du travail lors de ces périples grâce à ma flexibilité, cependant au détriment du langage local. Nous nous retrouvions, ici ou là, échangeant des bons plans, solutionnant nos malheurs, célébrant la richesse de nos rencontres par un carpé diem, sage et reconnaissant, unis dans l'Europe, et au delà... Citoyens du monde ! 


 

La blessure


 

Rien ne fut plus jouissif qu'un traumatisme acceptable. C'est contradictoire mais c'est bon d'avoir mal. Bien sûr l'amour de la douleur confère au sado-masochisme, mais dans ce rejet de notre société moderne, il apparaît que les blessures étaient comme des victoires de la médecine. Pourquoi aimer avoir mal ? Parce qu'on se sent vivant, et rien d'autre. Surtout que mes peines étaient infligées par moi-même. C'était douloureux, mais la médecine fit des progrès considérables au 21eme siècle, autant lui rendre cet hommage. Et puis l'engagement le plus tendu, le plus couillu, le plus barbare méritait bien sûr des moments spectaculaires et extraordinaires de douleur. Alors je rends hommage aux vrais chargeurs... Dans ces moments, il y a parfois des chutes qui font mal, qui détruisent, qui tuent. Ça correspond à une certaine règle qui dit qu'on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs. Oui, l'épreuve de la douleur donnait un sentiment plus que palpable à ces échecs. Et c'est tant mieux car on n'est pas ivre de douleur, au contraire, c'est une lucidité implacable qui vous étreint pour ne plus vous abandonner pendant de longues minutes, de longues heures, des jours et des mois entiers. C'est un plaisir noir, une délicatesse obscure, quelques émotions d'auto mutilation riche de mémoire ou une lumière perdure. Que nous sommes, fragiles. Des entorses tout au plus. Nos société ultra sécurisées ne pouvaient pas accoucher d'une autre forme de sagesse. Mon skate board est une arme que j'ai retourné contre moi. A condition que la médecine progresse de nouveau. Sinon, je ne serai plus là pour en parler. 


 

L'histoire


 

J'ai grandi avec le free-ride. Né en 1975, j'avais 13 ans lorsque les premiers skates ont été mis en vente dans les magasins en 1988. C'était nouveau, mais les patins à roulettes existaient depuis déjà longtemps. Immédiatement, sur cette vague de fun et de fluo, mon frère et moi avions eu grâce à nos parents nos premières planches. Ensuite, c'est vers l'âge de 16 ans que le ski est entré dans ma vie. Cela a été un vrai bonheur malgré un apprentissage autodidacte, par mimétisme pavlovien. Puis la succession des modes de glisses a été le roller avec l'avènement de l'inline autour de 1997 et le surf encore une fois très tardivement en 2004. De la même manière que les outils évoluaient, je me suis approprié ces mêmes innovations pour en tirer toute la quintessence. Et l'évolution fut fulgurante, techniques et matériaux ont profondément révolutionnés notre façon de vivre la glisse, et donc de penser puisque l'Internet se développait dans le même temps. La glisse comme mode de vie s'est donc révélé à mes yeux comme à des milliers de free-rideurs. Qui eux, ont poussé le délire encore plus loin. Le rapport à l'environnement, la planète, les saisons, devient un lien étroit, extrêmement raffiné puisque notre monde ne sert plus à vivre au sens matériel du terme, mais à vivre le plaisir et uniquement ce plaisir de glisser. L'homme moderne ne chasse plus, ne cultive plus, ne consomme plus, il glisse. Le débat est ouvert, pas mes backs-flip. Ski en bois, ski en fer, si je me pends, je vais en enfer. 


 

Le bonheur


 

Impossible de ne pas trouver le bonheur dans la glisse : Des paysages magnifiques, des lieux mythiques, des prouesses techniques, des gens exceptionnels, des instants extraordinaires, tout donne à jouir d'un bonheur intense. Même pour les pratiquants les plus modestes, le voyage de la glisse est déjà une aventure hors norme, parce que la glisse fait partie de la personnalité de chacun, elle est inclassable. C'est aussi pour cette raison que les rideurs cultivent tous cette distinction qui identifie chacun dans son évolution. Ce sentiment de plaisir incommensurable contribue naturellement à l'entretien de ce feu sacré qu'est la glisse. Nul autre exercice ne peut être comparé à ce que représente cette recherche perpétuelle. La quête du geste parfait n'a pas de limite, tout comme le bonheur de chacun de nous à prendre son pied d'une manière la plus simple, en glissant. Comme dans le porno, mais à la différence près du respect de sa partenaire. 


 

Le cri


 

Ce sport, est une des seules disciplines où l'on peut, je crois, trouver fréquemment des cris. Après une blessure, mais cela est commun à tout les autres sports, mais aussi dans l'action, dans l'engagement. Qui n'a jamais entendu des cris sur le line-up ? Sur les pistes de ski ? Dans un skate park ? C'est une expression rare est franche, qui manifeste l'engagement du rideur, sa joie à évoluer. Ça m'est arrivé de gueuler dans l'action, comme ça pour le plaisir. Ça fait un bien fou ce petit exutoire. On exprime son courage, son audace, sa bravoure, sa peur aussi. J'ai beau réfléchir, je ne trouve pas une discipline où extérioriser ses émotions se fait aussi facilement. C'est totalement libérateur et presque aussi guerrier que le Haka des All-Blacks. Je ferais sans doute pareil le jour ou j'avalerais une dose létale de barbituriques. 


 

La gerbe


 

Putain que c'est bon de claquer une peau, vomir brutalement d'un trop plein d'alcool... Gerber juste avant le malaise... Trop boire conduit forcément aux déboires d'un rejet guttural et vivifiant. Oui c'est vivifiant, on se sent vivant, puissamment vivant mais on ne fait que ça. Rendre tripes et boyaux... Une sensation rare. Douloureuse mais soulageant à laquelle l'on se consacre intégralement. J'ai dû, dans ma vie vomir peut être 10 à 12 fois après avoir trop bu. En 45 ans, c'est assez peu. Mais cette sensation qui vous écume le cerveau, sous l'effet de l'alcool, vous chavire juste avant le coma éthylique et l'arrivée des forces de l'ordre, pompiers, police, gendarmerie, samu... Heureusement, je n'ai jamais franchi cette limite, stoppant toujours juste à temps l'effroi du verre de trop. Mais cette libération d'une gerbe sourde et totalitaire n'est que bienfaisante lorsque l'on a trop piccolé. En fait je faisais du binge drinking mais tout au long de la nuit, tranquillement.


 

La descente


 

Cela a été ma principale discipline. La plus accessible, mais aussi la plus sportive. La montagne et sa neige, les vagues et l'océan, trop lointain, trop saisonnier m'ont procurés de grand moment de glisse, mais rien ne fut plus simple que pratiquer la descente urbaine. Trouver une bonne route, la remonter et se lâcher dans la pente sans gêner les automobilistes bien assis derrière leur petit volant qui parfois ne savent même pas où ils vont. 


 

Le rideur


 

Le gars jusque-boutiste : Celui qui fait tout à fond. Le travail au max, le plaisir au max, le sport à son paroxysme, la défonce franche mais pas toxicomane, attention, les limites ne sont jamais loin. C'est comme ça qu'on le reconnaît car il va plus loin que les autres et il ne se rate pas. C'est une sorte de danger publique, diront les mauvaises langues, bien que personne ne m'ai jamais traité de la sorte, je me considérais comme un rideur, surtout à cause de la glisse, et rien d'autre. Et puis parfois on touche le fond de sa zone de confort, on dépasse ses limites, on vacille, titube puis bascule sans toutefois perdre l'équilibre. C'est ça l'adrénaline, la vraie. Prendre des risques, c'est aussi ça. Pas Brice de Nice, mais Jean Dujardin. Parce qu'il faut gérer ce dépassement de soi, sinon, c'est cher payé, on se blesse généralement gravement. Lorsque je regarde derrière moi, je repense à ces instants d'éternité ou j'ai volontairement ou pas, repoussé cette frontière pour ne plus jamais revenir. C'était une victoire sur soi-même, rien de comparable avec une compétition. La magnificence de l'action, l'époustouflant qui séduit immédiatement et pourtant sans salto, c'était chaud, j'étais cool. 


 

Le rejet


 

Rebel du système, certainement. Pas facile de s'insérer dans un monde qui ne comprend pas vos aspirations. L'abandon grâce au chômage, le temps libre à cause de mon père. L'attrait vers la glisse représentait un sport mais aussi beaucoup plus que cela, un art de vivre. Quoi de mieux que se confronter à la puissance des éléments quand on a 25 à 35 ans ? Laisser tomber le monde des adultes, les règles et les normes, les lois et les contraintes pour n'obéir qu'à une seule chose, la puissance de la nature. C'est une forme d'anarchie extrêmement raffinée, intuitive. Quoi de plus beau que la force du vent, l'énergie des vagues, la majesté des montagnes... Quitte à subir un paradoxe, autant qu'il soit de l'ordre planétaire. C'est une sorte de liberté incommensurable qu'être prisonnier dans la peuf. Je m'en souviens très bien, je m'en suis sorti grâce à mon sang froid, ma dextérité. Face aux déferlantes océaniques, j'aurai toujours le sentiment d'être perdant, contraint à l'humilité. Et dans le dédale des routes sillonnées, se perdre relève d'une gageure inévitablement souriante car l'homme est toujours présent sur ces chemins de skate et de roller. 


 

L'argent


 

Je n'ai jamais eu de vrai problème d'argent, genre interdit bancaire, par contre les découverts et agios j'ai connu. Je vivais chichement, au plus dur de mes pérégrinations mais je n'ai jamais eu à galérer réellement, si on excepte les difficultés de communication avec mes vieux parents. L'argent est presque un parallèle à la glisse : On paye, on achète, on jubile, on range, on jette... Rien n'est plus simple pour créer la sophistication, tout comme dans la glisse. Notre univers de consommation se compose aussi de réseaux, bon marché, accessible, rusé, complice qui facilite la lutte des classes. On peut ainsi être un rideur exceptionnel issu d'un milieu très modeste, juste en cultivant sa discipline, au sens strict du terme pour en retirer l'essence de la glisse ultime. Et puis, les éléments sont accessibles partout gratuitement, à condition de faire preuve d'un peu d'imagination. La neige en hiver, la mer sur le littoral, et le bitume omniprésent nous facilitaient grandement la tâche. Restait à trouver son engin, une planche, des lattes, un vélo, qu'importe le flacon pourvu qu'il y ait l'ivresse. D'autant plus que la sécu prend en charge les blessures, autant se lâcher, se faire plaisir. Aujourd'hui, le business à tout cloisonné, tout est devenu payant, tout est à vendre, plus rien n'est gratuit, à part se jeter sous un train. 


 

Le gladiateur


 

Ces outils, tel des armes antiques, son accoutrement uniforme, le gladiateur et son esprit mon habité à de nombreuses reprises. En effet, pour chaque évolution, sur l'eau, la neige, le goudron ; des équipements de protection devaient être revêtus : Une néoprène pour nager, des vêtements contre le froid à la neige, des genouillères et protèges poignets pour le skate park, presque à chaque fois, je devais m'équiper pour affronter l'élément sur lequel j'allais m'engager. Ce rituel, tel des dieux de l’olympe, donnait un sens particulier à chaque événement de ride. Les différents éléments sont toujours hostiles à l'homme qui cherche à retirer toute l'esthétique de la glisse. Raison pour laquelle encore aujourd'hui pour chaque minéralité du monde, ce passage obligé représente l'incarnation du rideur qui part surfer, skier ou encore skater. D'ailleurs, dans la Rome antique, il paraît que le supplice de mise à mort des gladiateurs n'était pas si fréquent que cela tout comme certains d'entre nous qui refusons ces appendices anormales. Mais derrière le gladiateur il y a la Grèce antique et ces mythes. Derrière tout ces gadgets de glisse il y a encore le business et le commerce qui vous vendent un confort calculé, prévu, une satisfaction au beau milieu de nul part. Ce que je suis bien maintenant que je n'ai plus une thune avec cet équipement de sac à dos vide. Le parallèle est criant, d’une époque à une autre, les Hommes portent des casques et l’on se demande où ira la société dans sa définition… 


 

La baston


 

Il ne faut jamais céder à la violence. J'ai vécu des moments parfois violents, et ils ne me laissent qu'un souvenir amère et coupable. Rien n'est plus triste que l'expression de la violence, quelque soit sa forme. Ce qui est bien, c'est que son expression reste heureusement rare. Quel que soit le motif, la raison, rien n'est moins terrifiant que cette expression brutale et incertaine, rien n'est moins terrifiant que sa dangerosité sanglante et délétère. Même mortel, il faut bien le dire, on ne fait pas n'importe quoi avec nos vies... La violence n'est qu'une expression de la bêtise. Déjà que la bêtise ne sait pas s'exprimer, alors quand elle le fait avec des coups, c'est affligeant. Personnellement, j'ai toujours été non violent, mais il m'est arrivé de devoir me défendre et là ça a été abominable. On devrait tous être capable de contrôler ces instincts guerriers, même lorsque l'on se défend. Dans la police, j'avais appris ceci ; Je me maîtrise, je le maîtrise. 


 

Les vagues


 

Faut-il le rappeler, il s'agit de l'élément originel. Le liquide, quand il est doué d'énergie, devient un chaos particulièrement organisé, réellement vivant. Au milieu des déferlantes, j'ai pris cher tout au long de la côte atlantique, de Brighton jusqu'à Essaouirra, en passant par Biarritz et Peniche. En flottant sur ma planche, j'avais très souvent cette notion d'équilibre entre les vagues, entre les tentatives de canards, pour rester à flot. Moi qui suis originaire de la campagne piémontaise, la mer a été un choc, au plus profond de mon subconscient, allant chercher des sensations de mon plus jeune âge. Et cette puissance, implacable qui vous jette et vous chiffonne à la moindre erreur, cette blancheur, cette saveur qui vous agite tel un fétu de paille donne aussi à marcher sur l'eau. Après avoir dompté sa logique destructrice, on parvient enfin à surfer, glisser, faire corps avec la nature. Je suis dans le fantasme, là. Comme en pensant un jour être lu par un lectorat. Je vais plutôt mourir noyé sans un copec. 


 

L'internet 


 

Je l'ai vu venir depuis mes études avec les premières connexions en 1997. Et aujourd'hui, Internet n'est plus seulement une escroquerie vouée au grand capital. Facebook n'est pas qu'une imposture. Les rêves d'un espace de liberté nouveau, d'expression sans frontière, de libération des esprits ne sont plus que l'ombre d'eux mêmes tellement la vitesse est instantanée. J'ai eu ma première connexion en 2000. Et j'ai vu Internet évoluer. Aujourd'hui, le web est faussement figé. Facebook supplante votre liberté de penser si vous ne postez pas, les forums médicaux sont corrompus par la déontologie médicale, vos emails sont fliqués, les blogs manipulent, et le reste n'est bon qu'au commerce. C'est aujourd'hui une certitude, Internet révolutionne le monde. Et ce même principe sociétal ne sert pas que la démocratie, qui elle demeure un puissant outil de réflexion, big datasé, pour accoucher d'une intelligence artificielle dont tout un chacun pourra tirer parti, ce qui promet de long moment de numérique en perspective. On se prenait déjà la tête sans l'intelligence artificielle alors maintenant avec, ça va être gratiné. Surtout si les civiques-tech restent au placard… 


 

L'inventivité


 

L'exploration est un chemin à parcourir personnellement, pas à pas, pour comprendre ce qu'est la glisse. Certes, nous sommes abreuvés d'images, d'influences, mais l'esprit de ce mouvement, reste immanquablement le développement de votre propre personnalité. Et pour cela, il faut savoir faire preuve d'imagination. La glisse est faite de figures imposées, mais aussi de figures libres. En ce qui me concerne, j'ai pu trouver ma voie, en partant glisser à des endroits où personne d'autre ne glissait. Ainsi, je créais quelque chose de nouveau. J'ai adapté mon matériel, ma technique et ce fût magique. J'ai fait preuve d'audace en partant faire de la citadelle mon spot favori. Et cela fût payant. Sportivement, et culturellement. Comme au travail avec les agences d'intérim, je trouvais parfois un entrepreneur, un patron qui avait des couilles pour aller là où les autres n'allaient pas. Et généralement, je quittais le job au bout de plusieurs mois parce que mon tempérament reprenait le dessus soit dans la littérature soit dans la glisse. J'adorais bosser avec un vrai entrepreneur, un boss, le gars qui est dans l'action, comme moi l'étais-je. Aujourd'hui, j'ai tout perdu. Mon énergie, mon argent, cependant, j’ai vécu… 


 

La révolution


 

Personnellement, je croyais vraiment vivre une révolution. De 1995 à 2015, en vingt ans, les prouesses en ski, surf, skate sont tout bonnement devenues sur- humaines. Et moi j'ai vécu ça en plein dedans car je m'y suis épanoui abondamment. La glisse allait devenir la discipline la plus médiatisée, parce que c'était la plus spectaculaire. Nous allions dire adieu au foot, au sport spectacle pour revenir à la planète, aux éléments essentiels de notre monde. Mais il ne faut pas enterrer l'esprit d'équipe pour autant. Plus qu'une révolution, une évolution dans l'histoire de l'humanité. D'autant plus que les valeurs du free-ride et du free-style sont nobles, parce que l'homme met en péril sa propre intégrité seul face à lui même, ce qui constitue une totale conscience de ce qu'est la vie. Un nouvel état de conscience, en somme. Peut être un nouveau courant de pensée, une éco-psychologie, une antroponomie, un trans-socialisme… Je croyais vraiment que ces attitudes allaient donner quelque chose de nouveau dans notre environnement. Mais il n'en a rien été. Le sport de compétition pure reste dominant, la règle reste d'écraser ces adversaires. La nature humaine est décidément trop triste. Je croyais que la glisse replaçait l'individu au centre de ces propres efforts. Pour moi, une victoire seul face à son environnement est plus intelligente que seul contre son adversaire. Il reste une fête splendide, l'olympisme... 


 
 

Paris


 

Comment ne pas parler ici de la capitale... La ville lumière... Incontournable, c'est la session en plein Paris. Généralement, je me basais dans le troisième arrondissement, presque au cœur, si en plein cœur de Paris, et ensuite, je prenais les grands boulevards, les petites rues, les trottoirs, j'allais partout à un rythme de malade, grisé par la finesse du bitume et sa qualité de roulement... Le goudron de la capitale est particulièrement roulant pour des rollers... Et en plus, on navigue de place en place, de monuments en monuments, c'est magique encore une fois. Le dédale urbain trouve là sa vraie définition, ponctué d'une place de la république, d'une place Vendôme, d'un Arc de triomphe, d'une tour Eiffel, d'une tour Montparnasse, d'un Panthéon, d'une place de la Bastille... La rando sauvage et solitaire dans Paris, fût un moment épique de ma vie de patineur. Paris qui grouille en permanence, on ne s'ennuie jamais. Le décor est riche, les affiches sont sans cesse renouvelées, les gens généralement sympa, les lieux pour faire la fête, innombrables... Quel pied que d'avoir été capable de se fondre dans la circulation Parisienne, dans les années 10, jonglant en permanence entre la rue, le trottoir, d'instinct ! A l'époque, j'avais la vivacité suffisante pour tout déchirer... Pendant une bonne soirée, je faisais le tour de la capitale en surfant sur les meilleurs goudrons... Dans Paris, on va n'importe où, du moment qu'on roule. Inutile de prévoir un parcours, il suffit de se laisser aller... et se repérer à l'aide de la tour Eiffel... C'est le pied. Le terrain de jeu par excellence. Il faut être un petit peu endurant, et alterner les phases speedées et les mouvements plus relax de récupération. En plus, les ravitaillements sont partout, on peut acheter un truc à boire ou à manger... J'ai visité Berlin, Rome, Stockholm, Londres, Lisbonne, Genève, Casablanca, Montréal, Lausanne... Aucune de ces villes ne se prête tant au free-ride que Paris, sans doute grâce au génie du baron Haussmann. A moins que mon chauvinisme ne me rattrape ?


 

La lutte des classe


 

Croire que l'on va s'élever socialement grâce au free-ride est un sale traquenard. Tout le monde fait la même chose de toute manière. Quand je pense à ces dizaines de milliers de jeunes skateboardeurs qui ont, en vain, tentés des figures, ces fameux tricks, pour ne finalement que récolter des blessures sérieuses, il y a de quoi se poser des questions. Gagner sa vie dans ce domaine relève tout autant de l'exploit, puisque justement cela traite d'exploit. C'est presque une arme de destruction massive pour la frange la plus audacieuse de la population. Pour ma part, je me suis longtemps entraîné, très longtemps. J'y ai investi du temps, de l'argent, des efforts, et parfois j'ai obtenu ce que je prévoyais. J'ai progressé, certes, mais je me suis aussi usé, seul, incapable de comprendre, ou de trouver la bonne information, le bon coach. Heureusement, j'ai pu développer mon style, ma personnalité, mais je déconseille formellement à un apprenant de rester seul face à lui même. De toute façon, dans la vie comme dans le skate, les rencontres et les choix que vous ferez seul conduiront à peut être vous élever socialement, et pourquoi pas participer aux jeux olympiques. Ou pas... Et je gagnerai ma vie en rappelant à des jeunes pratiquants de fléchir les genoux pour garder un centre de gravité bas. Avec ça je vais bien toucher 15 euros par jour pour me payer à bouffer ? 


 

La fédération


 

Au sortir de l'adulescence, j'ai été très déçu par mes pairs. Les gens avec qui nous faisions du roller aux années 2000 sont très vites tombés dans la politique. Mon seul but n'était que de rider. Contrairement à certains qui eux, ne voyaient, à travers le roller et sa popularité naissante, qu'un moyen de réseauter, structurer, réglementer, hiérarchiser, administrer un sport. Le roller, n'était plus pour ces personnes le but, mais un moyen de justifier une situation sociale. Naturellement, je me suis heurté rapidement et longtemps, à ces gens d'associations, de clubs, qui nivelaient ma discipline par le bas. Et puis comme dans toute activité sportive, les jeunes poussent et les règles sont faites pour être enfreintes. Alors j'ai laissé tombé, assimilant les vœux administratifs de certains à des coups d'épée dans l'eau. En plus, je me suis aperçu que lorsque les gens se retrouvaient par le roller, et non pas, pour le roller, les querelles grandissaient et la passion périclitait. Heureusement, la fédération n'est pas constituée uniquement de ce type d'individu, il demeure des vrais passionnés endossant des responsabilités fédérales dans les sports de glisse. Qui de toute façon ne pourront pas m'aider à survivre tant mon cas ne rentre plus dans aucune case. 


 

Le travail


 

Ça aussi, c'est un révélateur de notre société. J'ai été victime de l'ubérisation... Cette propension à rendre l'emploi libre et endossable au besoin, ce qui fait multiplier les contrats précaires... En tout et pour tout, depuis le début de ma carrière en 1998, j'ai cumulé plus de 110 contrats professionnels différents. On vous embauche et on vous jette. De l'intérim à gogo, des petits jobs à la pelle... Impossible de retrouver une carrière digne de ce nom en management de la qualité. Il faut dire que je me complaisais dans cette précarité puisque j'avais en permanence des périodes de chômage, et donc un temps libre conséquent pour la pratique de la glissade. J'ai su tirer parti de cet handicap pour pratiquer ma passion... Mais aujourd'hui, alors que mes copains d'école ont des enfants qui commencent le skate, une maison et des points retraite, moi je n'ai que dalle. Pas de baraque, pas de bagnole, à peine mille euros d'avance. Contrairement à l'alcool, l'héroïne, le sexe, les jeux, le banditisme... Y-a-t-il une plus belle façon de rater sa vie qu'en faisant du skate ?


 

La montagne


 

Elle vous captive, hypnotise... On la voit venir de loin, mais même à ces pieds, on demeure humble, impressionné. Contrairement à l'océan, le bord de mer peut offrir des chocs à sa découverte, on parcours la plaine, et soudainement au détour d'une rue, on ressent toute l'impact émotionnelle à la vue de cette masse d'eau surnaturelle. En montagne on aperçoit ça et là des lieux où l'on ne pourra jamais se rendre, des pics abruptes inhospitaliers. Et on le devine facilement. En mer, on la parcours presque sans fin, et on a toujours du mal à croire que l'on est précisément à cet endroit, au milieu de rien. Même si en surf je ne faisais que lécher les vagues de la côte, on a parfaitement ce sentiment, dominer le danger. Dans ces deux univers, j'avais l'impression fragile d'être à la lisière de notre monde intelligible, flirtant dangereusement avec cette dimension minérale. Une place qui n'en est pas une, où votre vie déborde pile au centre de rien. On se sent tellement vivant, que l'extase mortelle n'est jamais très loin. Et c'est précisément ce qui est palpitant en montagne, et aussi en mer. En ville, l'élément humain est le seul traître capable de mensonge. Le free-ride urbain est il un menteur ? 


 

Le décès


 

J'ai déjà failli mourir un bon nombre de fois. La première, narrée plus haut, c'était en haute montagne, en faisant de l'alpinisme. C'était un événement très marquant, une " near death experience " dont j'ai déjà parlé dans ce livre. Ensuite dans une avalanche toujours en montagne, aux Karellis. Je ne me rendais pas vraiment compte de la situation, j'avais conscience d'être en hors piste, mais je me croyais suffisamment doué pour échapper au pire. Ensuite, ça a été une sortie de discothèque, un soir de perdition noctambule où j'ai failli prendre un coup de couteau évité in-extremis. Après, j'ai eu des épisodes de déception, poussant à la tentative de suicide, qui s'est interrompue par lâcheté. Je ne suis pas si courageux que cela. Enfin, en surf, une vague plus balèse que les autres dans une série où je n'avais pas vraiment ma place m'a balancé dans les rochers de Peniche, au Portugal. Si je rajoute à tout cela un accident de voiture de jeune conducteur qui se prit pour Sebastien Loeb, on compte déjà trop de séquences où la mort rodait dans les parages. Bien évidemment, je ne peux qu'être consterné par tant de chance, une chance insolente. La vie est tellement peu de chose, qu'il est si vite arrivé de la perdre. Ça calme. Mais pour vivre quoi ?


 

L'hécatombe


 

Puisque j'écrivais un passage sur la mort, il est important de noter l'incroyable nombre de décès dus aux sports dit " extrêmes ". Depuis que je suis imprégné de ce milieu, de près ou de loin, je pense comptabiliser un putain de nombre d'enterrements. Wing-suit, skate, surf, ski, j'en passe et des meilleurs, j'en passais des meilleurs pourrai-je écrire en songeant à l'accident. Oui, parce qu'il s'agit toujours d'un accident. Seulement, il est fatal. A part les attentats, je ne vois aucun autre fait de société qui tue autant, si on excepte les façons de mourir habituelles. C'est symptomatique de notre société sans doute. Alors que certains parlent de vie éternelle, ou au moins de rallonger la vie, nous nous jouons avec comme jamais dans l'histoire de l'humanité. Dans ce cas le terme Extrême prend tout son sens. Personnellement, je n'ai jamais été attiré par cette expression du sport. Seul le free-ride constituait à mes yeux un attrait digne de ce nom, gardant un peu de raison au quotidien, mais pas l’extrême, j’étais plutôt love song...


 

Les amis


 

Au cours de ces 20 années de liberté insouciante, j'ai rencontré une foule de gens. Tous mués par cette même attache à la glisse, et sur tout les terrains, dans toutes les situations. J'ai noué des relations solides avec quelques uns et je garde des contacts aux quatres coins de l'Europe, ainsi qu'aux Etats Unis ou au Maroc. Mais entretenir une amitié demande du temps, pour chacun, alors je clos ce paragraphe, mes proches comprendront. 


 

Le Maroc


 

Au royaume du Maroc, imprégné de cette simplicité envers la vie, je me suis senti coupable d'user mes forces à rien d’utile. Là bas, durant un séjour en 2009, j'ai découvert toute la côte atlantique, où sur une dizaine de spots j'ai pu chasser les vagues ou rouler en patin dans quelques villes. Mais j'ai surtout découvert un pays modeste, ou le poids de chaque décision pèse davantage sur le quotidien. Ma vie Française fût rappelée à l'ordre par cette société Marocaine humble et modeste. J'avais presque honte de passer mon temps à investir ma force pour rien alors que là-bas le quotidien ne permet qu'à une élite la pratique du sport. D'ailleurs je n'ai pas rencontré beaucoup de locaux durant ce périple. Les surfeurs du crû étaient tout juste une poignée, je retrouvais surtout des européens. Les sports de glisses ne sont pas très médiatisés en France, alors imaginez au Maroc. Le foot, universel est seul capable de survivre à cette rigueur. Mais je ne suis pas un Marocain, alors je laisserai le loisir aux vrais Marocains de vous en parlez d'avantage. Je me suis contenté de rentrer en France, pour continuer de danser avec les éléments. J'avais honte d'engager mon énergie pour une chose aussi inutile dans ce pays où l'eau est si précieuse.


 

La liberté


 

Rien d'autre n'exprime la liberté contemporaine comme le free-ride. Pas même sa carte de crédit. En montagne, en mer, en ville, à la campagne, partout la sophistication extrême de nos liberté est ainsi traduite de milles manières. Il s'agit d'une forme d'anarchie raffinée car la plupart du temps les rideurs n'obéissent qu'à une seule loi, ne pas tomber. Tout le reste n'est que littérature, et je sais de quoi je parle. C'est même un signe des règles omniprésentes qui régissent notre monde, nous repoussons sans cesse les limites pour toucher du doigt cette infime parcelle de liberté qui nous est offerte dans un champs de neige vierge, sur une plage déserte ou la nuit alors que la ville s’est endormie. Contrairement aux lois et règles qui sont toujours plus étouffantes les unes que les autres. Là, enfin, le terrain est libre. Plus de règle, plus de norme, plus de loi, un seul mot d'ordre, jouer. Et ne pas tomber. 


 

La ferme


 

Ce sont mes racines paysannes qui m'ont transmises le goût de l'aventure. Déjà la manière dont j'ai appris à pédaler, mais ensuite le contact avec les animaux, c'était certains jours le " rodéo " à la ferme quand il fallait courir après les génisses pour les attraper. Ensuite, il y a encore la débrouillardise. Ce trait de caractère entrepreneur qui m'a laissé voir mon père tout faire par lui même à la maison. C'est quelque chose qui s'est perdu depuis les années 80 où j'ai grandi. Mon père était capable de tout, plomberie, mécanique, électricité, maçonnerie, bucherônnage... Quand je vois ce que ma vie est devenue, je suis d'une tristesse inconsolable d'avoir échoué à pérenniser le patrimoine familiale. Mon arrière grand père, mon grand père, mon père étaient agriculteurs. Moi, j'ai succombé aux sirènes de la société de consommation, de la société du spectacle... Je suis ce qu'il convient d'appeler ; un enfant gâté. Aîné de la famille, j'ai essuyé les plâtres, et quand j'ai pris conscience que mon destin devait être de reprendre l'exploitation, mes parents en avaient décidé autrement. Alors nous nous sommes battus durant de nombreux mois, plusieurs années. C'est pourquoi je me suis réfugié encore davantage dans la glisse et la littérature. J'étais rejeté par mes parents, qui étaient très durs, et fermés à tout dialogue mais aujourd'hui je ne leur en veux pas. Ils ont fait leur choix. 


 

Le mythe


 

Depuis mon plus jeune âge et l'influence de la télévision et des mangas, j'ai été bercé par les mythes. Ils sont vraiment partout et révèlent de multiples formes. A l'école également avec la Grèce antique, j'ai grandi sous leur influence. Ainsi, cherchant à construire ma vie, je me suis naturellement inspiré de ces mythes, voir même, du rêve américain. Et cela a été très dangereux pour moi car j'ai cherché à gagner ma vie en la transformant en mythe. Je tiens à mettre en garde la jeune génération qui me lira ici. Ne voit-on pas dans les envolées de tout ces voltigeurs, ces rideurs, le mythe d'Icare ? Oui, cela a été une très mauvaise influence de chercher à devenir moi-même un mythe pour vivre au quotidien. Le rêve Américain ne doit pas tourner au cauchemar. Mais comment faire pour ne pas subir les médias sans être totalement passif ? C'est encore un dilemme pour moi aujourd'hui, car d'une manière ou d'une autre, j'ai fait partie de ces légendes, qui sont un peu comme les promesses, elles n'engagent que ceux qui croient en elles. 


 

L'alcool


 

Je n'ai jamais eu de problème avec l'alcool, ce qui est franchement surprenant. Dès le lycée, nous absorbions des quantités gargantuesques de picole, non seulement les mercredis après midi, mais dès que nous avions du temps libre. C'était du binge drinking avant l'heure, c'était les années 1992, 1994... Et cette habitude m'a suivie durant toute ma scolarité, mais je n'ai jamais eu de souci avec l'alcool parce que cela fait partie de notre culture de gérer l'ivresse. Ne dit-on pas à l'église, " Buvez, ceci est mon sang " quand le prêtre brandi le calice de vin ? Quelle erreur fatidique. Là encore, je tiens à mettre en garde la jeune génération. Même si les occasions sont ponctuelles, l'alcool fait perdre la mémoire, tout comme le haschich. Alors quand on mélange les deux, il devient difficile de garder toute ses capacités de discernement ou de remise en question sans faire appel à d'autres, et donc de rester autonome. Après les années de scolarisation, après le service militaire, j'ai commencé ma vie d'adulte responsable, tant bien que mal. Mais là encore, le piège de l'alcool s'est refermé sur moi à cause d'un détail. Etant célibataire, cherchant à rencontrer une femme, je sortais. Dans les bars, les discothèques, les concerts... Et là, encore, la biture n'était jamais loin, c'est profondément enraciné dans notre culture Franchouillarde. Heureusement, l'ivresse a fini par me saouler...


 

Le yoga


 

Sex drug and rock&roll, gluten-free tofu and cross-fit. J'ai joué sur les deux tableaux. Vivre vite, profiter de tout, abuser de rien c'est le coté sex drug and Rock&roll. Il y a aussi le gluten free, tofu and cross-fit ; la rigueur. L'ascèse, le mode de vie sain qui vous donne l'énergie et l’intelligence. Toute ma vie n'a été qu'un habile mélange de ces deux attitudes. Ce qui est logique pour préserver son intégrité lorsque l'on ride. Etre en forme est vital, il faut être un athlète. Et quand on est un athlète, les drogues, la défonce est toujours plus intense, plus profonde, subtile. L'un justifie l'autre, et heureusement pour rester à flot dans ce yin et yang dangereux, j'ai su tirer toute l'essence d'une forme de yoga que je pratiquais après mes séances de cross-fit. Ce que j'ai appris de plusieurs maître de yoga est de travailler le relâchement, la décontraction, mais également de privilégier le centre de gravité du corps, par les abdominaux et leurs exercices. Ces deux concepts m'ont permis de rider partout, dans toutes les conditions, même discret, modeste, et quand vous êtes à l'aise dans un éléments, les autres sont toujours une source de récréation nouvelle. Le yoga a été un moteur vital à mon évolution. Et la gaudriole demeure un moyen de ne pas se prendre au sérieux... Jusqu’au point de me coller un ticket pour le paradis mais de quelle manière ? 


 

La magie


 

D'abord, il y a ce trick, assez connu à Lausanne et ailleurs, le " magic "... Comme son nom l'indique, on est au delà de ce qui est rationnel. Au début j'avais une appréhension quand j'entendais ces rideurs Lausannois qui parlaient avec une telle exaltation de leurs " Magics "... Personnellement je n'ai jamais cherché à le reproduire, m'appropriant une technique personnelle basée sur l'expérience, ce qui revient à peu près au même. Et ensuite, il y a la magie, en général. Parce que la vie est magique... Au pied de mon spot favori à Besançon, un gars ouvrit un bar de nuit... Un mec de mon âge. Et comme je passais prendre des verres de jus de fruit avant mes sessions nous avons sympathisé, lui et moi. Il s'est avéré que ce gars faisait du Close-up... Le bar s'appelait Le Cube. J'ai eu la trouille de ma vie quand je l'ai vu faire disparaître devant moi une carte de visite dans les flammes... un truc dans le genre. Un peu comme si le surnaturel magique prenait le pas sur la vie... Genre, bref des trucs pas trop normaux à mon sens... et susceptibles de voir renaître des oppositions, celle du bien, et du mal, magie ou sorcellerie ? Magie ok, c'est beau et parfois tout à fait flippant, quant à la sorcellerie ; POLICE !


 

Les paysages


 

Des paysages plus magnifiques les uns que les autres. Une poésie incontestable, une béatitude absolue. Des coins à touristes, des zones sauvages, des villes riches et Babyloniennes, j'ai été partout. Avec cette recherche de l'élément, j'ai pu parcourir les quatre coins de l'Europe, et ainsi j'ai pris conscience de la fragilité de la vie sur notre planète. Sa rotondité m'est apparue partout, un peu comme lorsque l'on prend l'avion, on aperçoit la sphère terrestre dans sa forme la plus simple, spatiale. C'est ce qui couronne toutes ces vues de paysages magnifiques, la vue d'une courbure sur l'horizon. En bord de mer, en montagne, seul manque ce sentiment dans les plaines. Reste alors les couchers de soleil ou l'aube. C'est sur cet instant que je vais interrompre ces mémoires, car l'aube est le plus beau à vivre, où que l'on se trouve. Les précieuses minutes de contemplation à vivre la transition de la nuit sur le soleil sont ce qui restera éternellement comme un bonheur jalousement gardé. 


 

Le skate Park


 

Difficile pour moi de rester enfermé à répéter quelques tricks, soigner ces figures... On tombe trop facilement dans la compétition avec les autres, même si c'est une saine émulation. C'est quand même tourner en rond. Je préférais cent fois m'adonner à la rando pour squatter un spot où réaliser des slides, même en vegas à gauche et à droite... L'avantage c'est que le park fait souvent partie de ces spots visités en mode rando. Dans Besançon ma ville, je partais à la citadelle, faisais un passage dans sa descente, remontais ensuite sur Battant et terminais mon tour par le skate park histoire de travailler mes rotations. Il était toujours peu fréquenté...


 

Le free-ride


 

Si vous ne le savez pas encore, si je ne vous ai pas encore saoulé définitivement, le free-ride est le terme anglais qui désigne la glisse libre. Dans ce sport, on retrouve différentes familles comme le surf, le ski ou aussi le roller et le skate. Depuis 1998, je n'ai cessé de m'impliquer dans ces disciplines sportives, ce qui représente vingt ans durant lesquels j'ai vécu très intensément ma passion, raison pour laquelle je vous raconte ceci dans ce livre. Mais bien plus qu'un sport, le free-ride est un état d'esprit. Evoluant en pleine nature, prônant les valeurs de l'olympisme, mêlant l'exploration et l'imagination, je prends ici le recul nécessaire à mes vingt années de pratique, souhaitant transmettre mon expérience aux plus jeunes. Car durant cette période, j'ai vécu une véritable révolution ; progressive, lente mais ô combien capitale. Au départ, il s'agissait simplement de glisser, mais le développement du free-style, " style libre " a transformé la pratique en imposant une évolution radicalement spectaculaire, constituée de sauts tous plus périlleux les uns que les autres, agrémentés de figures toujours plus acrobatiques. N'étant pas un acrobate de ce calibre, je n'ai pas été un enfant de cœur non plus. Vous le constatez dans cet ouvrage. Alors quand des jeunes font des sauts périlleux à gogo, qu’est-ce que je foutrai encore avec des rollers aux pieds ? Je me demande…


 

L'outil


 

C'est vraiment fantastique, parce que nos outils sont très rudimentaires. Les planches, basiques, les roues, juste des roues, les skis, pareil, on ne fait pas plus simple et c'est paradoxal parce qu'à l'ère du numérique, nous glissons avec des objets élémentaires. Et c'est là tout l'intérêt de notre pratique puisque cela place l'homme au centre de l'action. Mais attention, il ne faut pas l'ignorer, nos véhicules quasiment mythologiques ne sont pas exempt de techno. La science omniprésente, l'expérience vulgarisée, révèle une multitude de détails scientifiques dissimulés dans nos attirails de libre glisseurs. Le carbone, l'uréthane, les grips, la wax, rien n'est laissé au hasard. Et ça c'est le pied. Pas besoin de se prendre la tête, il suffit juste de prendre son outil et de partir observer l'élément. Ainsi on se consacre à la compréhension de la mer, de la montagne, de la ville ou du skate park. Sa compréhension au fond. 


 

La vidéo


 

C'est le média par excellence. Tout passe toujours par nos écrans, car il faut bien admettre que le spectaculaire se vit bien mieux de visu, même si je trouve que la littérature possède une certaine facilité à retranscrire nos émotions. Il est même étonnant que si peu d'ouvrages traitent de nos aventures. Comme elle nous impact à grand coup de flash, mon intention reste de donner plus de recul à nos pratiques. C'est le pouvoir de la littérature, ainsi j'invite mes pairs à prendre la plume et livrer leurs sentiments à l'écrit, prenons le pouvoir ! Produisons tous des livres, comme à l'époque de Victor Hugo et des romantiques...


 

Les autocollants


 

Juste un truc marketing stylé qui devient viral et compulsif obsessionnel artistique...


 

Le clivage


 

A l'aube de l'an 2000, les rollers et les skates ne faisaient pas bon ménage... Une sorte de rivalité qui pourrait rappeler les Jacobins et les Jansénistes à l'époque de la révolution. Et puis, j'ai cumulé, en ayant les deux, une planche et des patins... Cela évite de se fatiguer et en plus, les pièces de rechange sont les mêmes ! Enfin, juste le roulement... Et puis en politique, que serait la majorité sans son opposition ? C’est de toute manière la bonne transition entre la montagne à ski, et la mer en planche, incontestablement. 


 

Le rêve


 

Il fit partie intégrante de ma vie. Attention, il ne s'agit pas de gagner au loto, ici pas de rêve bas de gamme, mais assurément du grand spectacle, des prouesses, des battles, des émotions... De la même manière qu'une femme peut vendre ses charmes, les joueurs de foot ne devraient pas spéculer sur leurs talents, c'est la même chose, on s'offre au plus offrant pour quelque chose dont on ne sait pas apprécier la valeur réelle. Combien vaut un but ? Combien vaut un orgasme ? Impossible à dire, pourtant c'est négociable. Avec le free-ride, vous en aurez toujours pour votre argent, ça c'est une vraie valeur morale. Vous serez libre. Ski de rando, surf, skate, tout ce que vous voudrez... aucune contrainte, plaisir maximum, reste à dépasser vos propres limites. Et comme à 48 ans, je ne pourrai plus jamais être capable de prouesses de la jeunesse, de quel avenir ma vie sera-t-elle faite ? 


 

L'accident


 

Jamais d'accident grave. Rien que de petites blessures, des entorses, des déchirures musculaire, des éraflures, des pizzas comme on a l'habitude d'appeler les abrasions de la peau sur le bitume. C'est une question de responsabilité, lorsque l'on évolue, on peut et surtout, on doit, élargir sa zone de confort au maximum. Ainsi, rider au max est possible sans risque. En mode urbain, dans la circulation en descente, c'est une question de respect du code de la route. J'ai toujours laissé la priorité aux véhicules que je croisais, c'est même une question de respect tout court. De toute façon de nos jours le port du casque est devenu un réflexe, tant les risques pris sont importants. Sauf que si je ne suis pas en compétition, je refuse de porter le casque... C'est une question d'intelligence, d'élégance, de compréhension de soi.


 

Le genou


 

J'ai cette drôle de sensation dans mon articulation gauche... Ah non, aujourd’hui c’est la droite. Comme un craquement tout doux mais sombre... Opposé aux craquements lumineux d'arthrite je crois, qui claquent tels des coups de gifle mérité... Un trop plein d'énergie malhabile et son pendant de petite souffrance sournoise, le tout à rééquilibrer savamment dans un comportement rassuré de bien être... C'est une question d'émotion, d'action et de réflexion, d'idées. Les médecins le savent. Moi aussi. Et pourtant quelque chose qui cloche, une voie qui s'élève, un prix trop élevé à payer ? C'est une séquelle, mais de quelle chute ? Pas d'accident précis à considérer... Et ma routine de fitness ? Normalement, cela ne me gêne pas, ni dans un craquement, ni dans l'autre, alors, une simple fatigue ? Pesante, alors repos ! Et si je ne peux pas me reposer ? Parce que je dois gagner ma vie ? D'où proviendrait cette abondance de craquement articulaire, bon ou mauvais ? Je crois que les médecins qui liront ceci devraient être en mesure de répondre à ce détail... Moi en tout cas, je vais survivre à ces gênes, et éliminer l'origine de ce handicap... Essayer.


 

La vieillesse 


 

Certains disent que la vieillesse est un naufrage. Je ne suis absolument pas d’accord avec cette vision. La vie se construit, le futur s’anticipe, la conscience comprend. La vieillesse d’un gars libre de perdre son temps et son argent, pour une chose dont le débat reste perdu d’avance. Oui, la plus belle façon de rager sa vie. Faute de frappe ? Rage ? Même vieux, garder la rage de vivre, parce que c’était cela qui m’animait depuis tout ce temps. Et faire face aux besoins matériels ? Oui également, mais tout ne restera qu’une question de choix. Comme ma fin de vie ; attendre 95 ans ou pas ? Qu’est ce que je vais foutre en attendant ? Continuer de faire de la planche, bosser un peu ou l’inverse, écouter de la musique et tenter de donner du plaisir à ma compagne tant que j’en serai capable, juste avant de me foutre en l’air. 


 

L’époque


 

Et si au fond je n’étais que la victime d’une société aveugle ? Une société insouciante, voir irresponsable ? Le digne représentant d’un monde qui ignore tout de la condition finie de notre univers, dans une croissance infinie ? J’ai raté ma vie certes, mais je n’ai cru qu’en d’innombrables rêves ou mirages dédiés à élever notre condition humaine, tout en respectant au maximum les règles. En écrivant ceci, j’ai presque le sentiment d’être un homme politique traduit en justice cherchant à se justifier sur les manquements qu’il a commis volontairement ou involontairement. Il y a une responsabilité d’écrivain, comme il y en a une aussi pour les élus. Si j’ai commis tant d’erreurs ? Ne serait-ce pas parce que la société était elle même dans l’erreur ? La crise du Covid nous le montre, le néo libéralisme va naître de ces événements médicaux sanitaires et le sens de nos vie s’en trouve changé. Alors que ceux qui définissent les règles le font naturellement dans le sens qui les arranges…


 

Le match link


 

C’est ce soupçon de créativité qui offre la fantaisie et le plaisir de s’exprimer en tout quiétude, sur le papier, à son rythme, sans avoir à justifier quoi que ce soit… Le plaisir d’avoir un Français, ma langue, approximativement érudite, mais intelligible, compréhensible, et dont le sens profond, finalement ne revendiquera toujours qu’un besoin de me rencontrer pour me comprendre, de mon vivant. Alors comment vais-je disparaître, quitter ce monde ? C’est LA question. En l’explorant, on tombe naturellement sur mon quotidien, ma vie futur proche, mon futur immédiat, mon futur antérieur. Et qu’est ce que la société me réserve, puisque je lui offre cette littérature ? Chose amusante, moins je me retrouve dans la littérature disponible, plus je m’épanouis avec ma littérature personnelle, mes écrits et ce journal de mémoires. Un match link, comme tout anglicisme, ça signifie tout et rien à la fois : Le bon lien, le lien trouvé, la connexion établie, la connexion adaptée…


 

Les mémoires


 

Lorsque tout est devenu chiant, il est temps de se poser les questions, où retrouver du sens ? Où retrouver l’essentiel ? Et si tout était parti ? Et si ces mémoires n’étaient que testamentaires… Comme pour m’excuser d’un problème dont je n’étais même pas l’auteur… Le responsable… Non, difficile de me reprocher les erreurs que l’on m'a conduit à commettre. Aujourd’hui, les perspectives sont toutes plus nuancées les unes que les autres. A 45 ans, les dés sont jetés, la ligne est tracée, les acquis sont là et pas grand chose ne pourra venir infléchir cette direction. A 45 ans, il reste difficile voir inintéressant de pouvoir continuer de glisser… Surtout sans moyen officiel, pour devenir sportif pro, cela serait valable, cependant, croire à ce potentiel est assez éloigné de ma réalité, faite de contraintes et de déterminismes sociaux. 


 

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